Ils savent utiliser WhatsApp, ils menacent mon métier de journaliste ?

12 mai 2016

Ils savent utiliser WhatsApp, ils menacent mon métier de journaliste ?

whatsapp y a marreLe 3 mai 2016 c’était la journée mondiale de la liberté de presse, les journalistes béninois et ceux du monde ont célébré leur métier. Moi aussi, je me suis senti à l’honneur car j’adore mon métier. Mais un peu trop fier, ne dirait-on pas ? Ne devrais-je pas revoir à la baisse mon orgueil de “producteur professionnel de l’information ?” Et pour cause, le développement du partage de l’information par les Béninois sur les réseaux sociaux et surtout via WhatsApp.

Depuis que le smartphone n’est plus un luxe parce que les téléphones intelligents bon marché sont disponibles à tous les coins de rue à moins de 30 000 francs CFA, l’usage des applications mobile populaires n’est plus réservé à une poignée de privilégiés ou de connaisseurs. De ces applis, une m’intéresse par son succès spectaculaire. C’est l’application de messagerie instantanée WhatsApp qui fait le bonheur de ses utilisateurs de plus en plus nombreux. Au Bénin, ceux qui ne l’ont toujours pas sur leur téléphone vivent sans doute en marge de la tendance. Grâce à elle, beaucoup de gens prennent goût à l’Internet (pour certains, naviguer, c’est savoir utiliser WhatsApp). On préfère désormais activer un forfait Internet sur son téléphone pour ses messages via WhatsApp que de payer pour les SMS classiques. C’est par “Wazap” (c’est la prononciation populaire) qu’on échange dorénavant avec ses contacts. Je ne vais pas m’attarder sur ce phénomène qui fait de certaines personnes de véritables esclaves de leur smartphone…

Ce qui m’intéresse parce que me touchant, c’est le développement du partage d’”informations” par les groupes de discussion. Ces forums de discussion en groupe sont sur le point de devenir des médias, d’un autre genre. J’ai raison de m’en moquer, mais très vite, je me rends à l’évidence que leur portée mérite attention. Tenez, le téléphone va bien remplacer la radio et la télé. En dehors des messages vulgaires, obscènes, blagues ou autres futilités à vitesse d’épandage virale, les utilisateurs de WhatsApp sont à la quête d’autres choses : les nouvelles du pays. Ceux qui ont vite compris se sont spécialisés en producteurs d’”informations”.

“Lu pour vous”, un informateur omniscient ou dame rumeur ?

Le phénomène existait certes depuis quelques années, mais il a pris de l’ampleur avec la dernière élection présidentielle. Des textes volent de groupe en groupe sous la plume de Monsieur “Lu pour vous”. Ecrit au début d’un message ou à la fin de celui-ci, “Lu pour vous” indique que le texte est sans auteur identifié. Du coup, sous la plume de cet informateur anonyme, peuvent se cacher des manipulateurs qui ne cherchent rien d’autre qu’à orienter l’opinion, la monter dans un dessein politique. Cela a sans doute fonctionné lors de la campagne électorale pour l’élection présidentielle.

Les principaux candidats s’étaient envoyés des piques par partisans interposés et via WhatsApp. Que n’a-t-on pas pu lire sur Lionel Zinsou, le candidat désigné comme celui de la Françafrique et de la recolonisation du Bénin ? On ne me dira surtout pas que les auteurs des mille et un tracts sur Monsieur Zinsou le faisaient pour lui plaire. On avait aussi pu lire assez de charges contre Patrice Talon – celui qui gagnera la présidentielle – qui se serait enrichi sur le dos des Béninois et ne mériterait pas de devenir chef de l’Etat. Ces messages de propagande, j’en ai sauvegardé certains, je me défends d’en faire la publicité ici.

Crédulité

Ces écrits non authentifiés ont pourtant un tel succès qui laisse croire que les messages véhiculés sont crédibles aux yeux de certains, même de personnes assez éclairées pour savoir se montrer prudentes face à ce genre de texte passe-partout.

En dehors même de la politique, les nouvelles “lues pour vous” ont toujours une pénétration phénoménale. Des personnalités publiques en font les frais parfois. Le weekend des 7 et 8 mai 2016, un texte signé de “mon confrère Lu pour vous” a annoncé la mort de l’ancien médiateur de la République, Albert Tévoédjrè. C’est finalement l’octogénaire patriarche de la scène politique béninoise lui-même qui va démentir “le tueur”. D’où est partie cette fausse alerte et à quel dessein ? Impossible de le savoir. Mais avant le démenti formel, elle aura eu son temps de gloire, les plus crédules y ont cru et l’ont relayée.

Pourtant, des indices pour déceler les fausses infos ne manquent pas parfois sur les messages partagés dans les groupes de discussion. Un ami qui partage ma position sur la question m’expliquait un jour comment il a pu simplement “ouvrir les yeux” à un contact à lui qui venait de lui transéférer un message (de “Lu pour vous” bien sûr) à propos des obsèques de l’ancien président béninois Mathieu Kérékou. Selon le message, l’une des dernières volontés de l’ancien chef d’Etat mort le 14 octobre 2015 et lue dans son testament, serait de n’être pas enterré par le président en poste à l’époque, Boni Yayi. Mon ami a dû raisonner son contact en lui rappelant que le testament d’un défunt ne se dévoile qu’après son inhumation et même bien plus tard… La suite concernant Kérékou, c’est que sa dépouille a bien rejoint sa dernière demeure sous la direction de Boni Yayi le 12 décembre. Ce cas n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

Inconscience aussi ?

Là où le bât blesse aussi, c’est quand les fausses alertes, les messages à peine croyables sont relayés dans les groupes de discussion de journalistes. Les professionnels de l’information qui devraient s’imposer une certaine rigueur en la matière. Si vous tentez de faire le reproche à un confrère qui partage une info à la source inconnue, vous risquez de vous faire ramasser par quelque dans ce genre : “Tu vois bien que c’est du Lu pour vous, ne me demande pas la source”.

C’est à croire qu’ entre les journalistes et les pseudo-activistes il n’y pas pas de différence. Il y bel et bien une différence même si j’ai des raisons de me demander si les utilisateurs de WhatsApp sont mes concurrents ou mes futurs confrères ? Les confrères à moi que j’admets pour l’heure, les journalistes comme moi, du moins certains d’entre eux ne semblent pas prendre conscience du phénomène et l’amplifient par leur légèreté vis-à-vis du partage d’infos via WhatsApp. J’ai souvent encore plus mal quand des journalistes piquent les articles de sites d’information ou de blogs et les partagent sans liens et sans signatures (celles-ci remplacées par Lu pour vous).

Journalisme citoyen oui, mais…

Pour autant, tout ce que les Béninois se partagent entre eux via Whatsapp, n’est pas de l’ordre des ragots. Loin de là, il y a aussi du vrai. Oui, le journalisme citoyen est en marche, plus facile avec l’application de messagerie abusivement considérée comme réseau social chez moi (il a sans doute détrôné Facebook je pense). Je me souviens avoir été informé de l’incendie au grand marché de Dantokpa de Cotonou le 31 octobre 2015 par un message reçu par WhatsApp la nuit. Un message venant non pas d’un confrère journaliste mais d’un ami qui ne connaît rien au métier de l’information. Il ne faisait que partager comme la plupart des Béninois accros de WhatsApp qui sont plutôt très altruistes – dans le jargon on dirait en anglais, “they are social” – en matières d’alertes.

C’est plus qu’un réflexe désormais chez les Béninois, le fait d’immortaliser une scène dont ils sont témoins et d’en informer leurs contacts. Avec WhatsApp, la veille citoyenne se développe et les dirigeants devraient faire très attention dans leurs agissements hors de leurs bureaux. Des smartphones prêts à les photographier ou enregistrer leurs propos pour le compte du public, sont partout. Les échanges violents entre le président Yayi et le député Candide Azannaï en 2015 ont été rendus publics via WhatsApp. En mars 2016, les propos injurieux de Monsieur le président sortant sur le candidat Talon n’ont été publiés et relayés de téléphone en téléphone que par WhatsApp. Des exemples du genre qui mettent à nu les comportements peu catholiques des autorités existent à foison.

Cependant, les journalistes citoyens qu’on encourage ne pèchent-il pas parfois ? Par leur touche de perception personnelle ajoutée à une alerte qu’ils partagent ? Toujours lors de la présidentielle de 2016, un bus transportant (régulièrement comme on le confirmera plus tard) des documents électoraux imprimés au Burkina Faso pour le compte de la Commission électorale nationale autonone a été intercepté par la police à Djougou, au nord-ouest du Bénin frontalier du Faso. La population s’en est mêlée. Une alerte est lancée avec comme info : un bus rempli de bulletins pré-estampillés a été arrêté par la police. Quelle était l’intention de l’auteur ? Si ce n’est pas manipuler, c’est sans doute pour faire sensation. Toujours sur le revers de la médaille, il me plaît de m’interroger encore : pourquoi les Béninois devraient-ils se préoccuper de prendre une photo d’un accident de la circulation plutôt que de s’empresser pour sauver les personnes en danger ? La tentation du scoop ?

Ah WhatsApp, quand tu les tiens ! Que reste-t-il à savoir de toi ? Rien ne t’arrête, je ne le pourrai d’ailleurs pas. Mais je suis libre de m’en arrêter ici pour mon topo. Avec l’assurance que mon texte publié sur mon blog pourrait me revenir en messagerie sous la plume de Monsieur tout le monde, “Lu pour vous”. Les articles de blogs et de sites Internet aussi, il sait en voler. On s’en accommode ? Hey there ! I am using WhatsApp (Salut ! J’utilise WhatsApp)

Vincent Agué (Facebook, Twitter)

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Commentaires

Atman BOUBA
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Ça me fait penser à mon article: “la magie des réseaux sociaux“. Grâce aux réseaux sociaux (whatsapp en particulier) nous assistons à l’émergence d’une autre forme de journalistes, les journalistes en herbe. J’avoue néanmoins qu’en dehors des insuffisances de whatsapp (lu pour vous; crédibilité etc.) c’est un puissant vecteur d’information reste à s’outiller de techniques et de professionnalisme pour éviter le piège des “lus pour vous“. Mon article est disponible sur ce lien: https://bouba.mondoblog.org/2015/02/01/la-magie-des-reseaux-sociaux/

Vincent AGUE
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Super, merci Atman pour ta contribution. Je suis d'avis que toi sur l'usage utile de WhatsApp. Le problème c'est que le mauvais côté se développe plus. Mais tout compte fait, le professionnel de l'information reste maître de son domaine et on cherche toujours à confirmer une info sur une radio ou par un journaliste tout simplement. C'est rassurant !